Ah, tu ne t’y attendais pas à celle-là, n’est-ce pas ? Et pourtant. Le XXIe siècle est en passe de faire cette découverte majeure. Attention, hein ! je ne te parle pas des croûtes qu’Adolf a pu commettre avant de devenir maître de l’Allemagne. Non, pour ça on est d’accord, s’il avait bien un talent artististique, avec la peinture il avait choisi le mauvais moyen de l’exprimer. Non, moi je te parle de ses activités artistiques en tant que Führer, en tant que principal artisan de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste. Car c’est avec la souffrance et avec la mort dispensées avec efficacité, sur une large échelle, qu’Hitler apparaîtra bientôt à nos contemporains comme l’un des plus grands artistes du XXe siècle.
Révoltante, ma thèse ? Absurde ? Voire.
As-tu entendu parler de Guillermo Vargas, dit Habacuc ? Il s’agit d’un artiste originaire de Costa Rica. Adepte de l’art conceptuel. Et de « performances ». Quelle est celle qui l’a propulsé au devant de la scène internationale ? Une installation intitulée Tu es ce que tu lis, qui a été exposée en 2007. L’installation en question ? Un jeune chien errant, famélique, malade, capturé dans les faubourgs de Managua (où l’exposition avait lieu), attaché par une corde dans une grande salle aux murs blancs. À proximité immédiate du chiot, mais sans qu’il puisse y toucher, une maxime : « Eres lo que lees » en lettres non de feu, mais de croquettes pour chien. Oui, tu as bien compris : les lettres composant cette maxime étaient réalisées à l’aide croquettes alignées les unes à côté des autres. Le fonctionnement de l’installation ? Le chien, affamé, sent bien l’odeur des croquettes, mais, solidement attaché, ne peut s’en approcher. La performance prend fin lorsque le chien meurt d’inanition. Youpi.
Toute œuvre d’art a un sens. Paraît-il. Celle-ci, aux dires de son créateur, entendait rendre hommage à l’un des confrères nicaraguayen de ce dernier, Natividad Canda, mort après avoir été attaqué par deux rottweilers. Appelé à s’expliquer sur son œuvre, Habacuc aurait déclaré : « Je ne peux pas dire si c’est vrai ou pas que le chien est mort. La chose importante pour moi était l’hypocrisie des gens : un animal devient un centre d’attention quand vous le mettez dans un endroit où les blancs vont voir de l’art, mais pas quand il meurt de faim dans la rue. La même chose est arrivée à Natividad Canda : les gens l’ont ignoré jusqu’à ce que le chien l’ait mangé. » Il a d’ailleurs ajouté : « Personne n’est venu pour libérer le chien, pour lui donner à manger ou pour appeler la police. Personne n’a fait rien. » Ca ne te rappelle pas quelque chose ?
L’art est fait de transgression, on est bien d’accord. « L’art est fait pour troubler », disait même Georges Braque.[1] Soit, on est troublé, c’est le moins qu’on puisse dire. Oui, mais est-ce bien d’art qu’on parle en l’occurrence ? te demandes-tu, ô lecteur avisé. Franchement, je n’en sais rien. Aujourd’hui, et depuis presque un siècle, est art ce qui s’autoproclame comme tel. Tout est « art », comme tout est « culture ». Ce qui est certain, c’est que l’art s’est donné pour mission d’enfreindre les codes et de transgresser les interdits. Et justement, la mort et la souffrance demeurent parmi les derniers tabous de notre société. Alors quelle est la prochaine étape ? Violer en public un enfant sans défense, infirme et affamé, ramassé dans un quelconque bidonville, puis le massacrer avant de servir champagne et petits fours ?
Le plus lamentable, je trouve, dans cette histoire, c’est que l’artiste a été invité à réitérer son installation cette année, lors de la prochaine Bienal Centroamericana du Honduras. Du coup, diverses sociétés de protection des animaux se sont organisées et invitent la planète à signer une pétition contre Habacuc et ses performances. Je l’ai signée, convaincu finalement que mon amour pour la vie l’emportait sur celui pour l’art. Je ne t’exhorte pas à la signer à ton tour, car tu es un grand garçon (ou une grande fille) et tu agis selon ton âme et conscience. Mais si tu veux la signer, voici l’adresse : http://www.petitiononline.com/13031953/.
Alors, l’homme, un loup pour l’homme ? Non, pas même un chien. L’homme est un homme. Un homme pour l’homme et pour le reste de la Création. Et c’est déjà suffisamment consternant, parfois.
Car franchement, infliger la souffrance et finalement la mort au nom de l’art… qu’est-ce que ça veut dire ? Est-on arrivés aux limites de l’art en tant que création, au point que ce dernier n’ait plus à explorer que la dimension inverse, celle de la destruction ? Quitte à passer aux yeux de certaines âmes bien pensantes pour un odieux réactionnaire, je suis convaincu qu’il devient de plus en plus urgent de redéfinir certains concepts. « Tous différents, tous égaux » voit-on aujourd’hui, un peu partout. Certes. Mais ce qui est un vœu pieux et une réalité souhaitable pour les hommes est, à mon avis, loin de l’être dans le domaine des idées. Car non, toutes les idées ne se valent pas. Il y a une échelle de valeurs dans la pensée comme dans le goût, comme dans l’art. Et il serait temps de l’admettre. La démocratie au plan social, oui sans doute ! mais au plan artistique non, mille fois non ! « L’art est l’antithèse de la démocratie », affirmait si justement le Suisse Hirschhorn. Et ce ne sont pas des pétitions qui devraient étouffer dans l’œuf les délires d’un Habacuc. Mais le seul bon sens et un peu de courage. Celui qu’il y aurait à couper la corde emprisonnant ce chien durant la performance, tout simplement. L’art est dans l’œil de celui qui regarde ? L’art réside dans la transgression ? Alors dans ce cas, gens d’honneur, amis de la vie et de l’art (et de la gent canine), transgressez que diable ! Transgressez ! Transgressons ! Cessons de signer des pétitions et agissons ! Car l’art ne comprend qu’un langage : le sien.
Notes
[1] Bon, il ajoutait aussi : « la science rassure ». Ah ouais ? En tout cas, cette assertion constitue toujours un excellent sujet de dissertation de philo, chaque année un peu plus en prise sur l’actualité…
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Faire prendre conscience de la dangerosité des rottweillers est une chose. Importante. Nécessaire. Tant d’enfants (entre autres) en ont été et en seront probablement encore les victimes. Vouloir en faire une attraction en rendant à un chien d’une manière ou d’une autre la violence subie par un homme est à mon sens tout aussi insupportable. Matériellement. Idéologiquement.
Et non, Olivier, vous n’êtes pas un « odieux réactionnaire » : vous posez simplement les bonnes questions. A deux niveaux. Au premier niveau, celles que souleva en son temps Hannah Ardendt sur la banalité du mal (et qui, incomprises, firent scandale). Celles que l’on se pose devant tout acte de violence gratuit commis par un « monstre », dirons-nous comme pour excuser les dysfonctionnements de la nature humaine. Mais de monstre, il n’y a point. Un homme, notre semblable, oui. Dont le bon sens, un jour bascule. Jusqu’à l’horreur. « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui », a écrit Sartre.
Au deuxième niveau, et c’est pour moi, en plus de la reconduction de l’expérience au Honduras en 2008, peut-être le plus lamentable : c’est que PERSONNE, quelques récriminations orales mises à part, n’a cru bon, à Managua, de délivrer le chien, envers et contre un seul : « l’artiste » lui-même.
Cela me remet furieusement en mémoire ce superbe texte de Brecht :
« Quand ils sont venus arrêter un juif, je me suis dit : un juif de plus ou de moins, il n’y a pas de quoi s’inquiéter.
Quand ils sont venus arrêter un catholique, je me suis dit : un catholique de plus ou de moins, il n’y a pas de quoi s’inquiéter.
Quand ils sont venus arrêter un communiste, je me suis dit : un communiste de plus ou de moins, il n’y a pas de quoi s’inquiéter.
Quand ils sont venus m’arrêter, il n’y avait plus personne pour s’inquiéter. »
Cordialement
Richard
Adolf Hitler faisait de l’art triste :)
l’année dernière j’ai entendu parler d’une expo qui se déroulait à Paris et d’où l’on pouvait voir des corps de prisonniers chinois exécutés et momifiés pour satisfaire le côté voyeur un brin morbide de certains Peut -on appeler cela de l’art ?
« L’art dit des choses que les mots ne peuvent comprendre. L’art ne dit pas des maux de tout les jours ».
Mes amitiés Olivier !
Elle est de moi. je suis Enchantée qu’elle te plaise.