« Monsieur, comment vous nommez-vous ? — On m’a toujours appelé l’Ingénu, reprit le Huron, et on m’a confirmé ce nom en Angleterre, parce que je dis toujours naïvement ce que je pense, comme je fais tout ce que je veux. »
Voltaire, L’Ingénu.
Comment ? Rien depuis le 1er avril ? On dira que c’était un genre de blague, d’accord ?
Aujourd’hui, après quelques vacances bien méritées[1], j’ai envie de te parler d’elle. Elle ? Myriam Ferrer. Une jeune artiste dont j’ai fait la connaissance tantôt. Elle m’avait gentiment envoyé une invitation au vernissage de son exposition à Vevey, accompagné d’un lien vers son site internet.
Nu, mine de plomb sur papier blanc, 19,5 x 27,5 cm.
Déjà pris le jour du vernissage, je n’ai pu me rendre à Vevey qu’une dizaine de jours plus tard. Et c’était bien mieux ainsi : j’ai pu voir les œuvres tranquillement, sans être bousculé et sans avoir à deviser de tout autre chose que d’art. Elle était là pour m’accueillir, attentive mais discrète, répondant à toutes les questions, parfois saugrenues, que je lui posais, avec une bienveillance sincère. Il y avait exposés là une trentaine de dessins, peut-être, et une dizaine de sculptures. Ainsi qu’un assortiment de chatons de bagues en céramique peinte.
Nu, mine de plomb sur papier blanc, 26,5 x 34,5 cm.
« Le dessin, c’est ma récréation du mercredi soir », me dit-elle. « J’ai la chance d’avoir un modèle toujours pleine de bonnes idées de pauses. » Modeste Myriam. Elle explique son talent par celui des autres. Les dessins en question sont en effet presque exclusivement des nus. Et si je dis « presque », c’est que, à la vérité, l’amateur de nu féminin que je suis ne se souvient pas avoir vu d’autres motifs.
Nu, mine de plomb sur papier blanc, 27,5 x 19,5 cm.
Beaucoup de simplicité dans le graphisme : le trait privilégie la rectitude, les courbes étant souvent anguleuses, mais sans excès. Aucune fioriture. Au contraire : ces dessins à la mine de plomb sur papier blanc sont pensés et voulus comme des esquisses. Pas de modelé, donc, ni d’ombres, juste les contours. Autant dire qu’il s’en dégage très vite une impression d’évanescence, de légèreté et de transparence. Presque de fragilité. La femme qu’on a sous les yeux est là sans y être tout à fait, son corps prenant forme doucement, tout en suggestion. Il faudrait très peu de chose, on le voit, pour qu’elle ne soit pas là, et pour qu’elle échappe à notre regard. Au reste, comme le blanc joue un rôle tout aussi important que l’anthracite, on sent bien que la présence se mesure, pour ainsi dire, à l’absence, rivalisant avec elle. Une sorte de jeu du caché-montré en somme, subtilement érotique, qui, par certains aspects, n’est pas sans rendre hommage à Rodin ou à Schiele, et qui, surtout, a l’élégance suprême de ne rien imposer et de tout offrir. Aussi, la fameuse assertion de Marcel Duchamp se justifie-t-elle assez bien dans le cas des dessins de Myriam Ferrer : « ce sont les regardeurs qui font les tableaux ». L’artiste propose, le spectateur dispose. Puisque c’est toujours en lui, finalement, que s’achève la représentation…
Nu, mine de plomb sur papier blanc, 18,5 x 12,5 cm.
Nu, mine de plomb sur papier blanc, 12,5 x 18,5 cm.
Et justement, j’ai acheté un dessin qui, trouvais-je, illustrait pleinement l’aspect « ouvert » de l’art graphique de Myriam Ferrer :
Nu, mine de plomb sur papier blanc, 19,5 x 27,5 cm.
Et puis il y a les sculptures. Je ne résiste pas à t’en montrer cinq parmi les plus récentes :
Escargot bicorne, montre-moi tes cornes, grès émaillé transparent, 24 cm de haut.
En avril ne te découvre pas d’un fil, en mai fais ce qu’il te plaît, en juin de trois habits n’en garde qu’un,
grès émaillé transparent sur socle acier, 39 cm de haut.
Vénus et le moineau, grès émaillé transparent avec une touche en jaune pour le moineau, 38 cm de haut.
La Violoncelliste, grès émaillé transparent, 35 cm de haut.
La Castafiore, grès émaillé transparent, 29 cm de haut.
Comme je l’ai dit à Myriam Ferrer, je leur trouve beaucoup de grâce naturelle et de poésie, avec une sorte d’hiératisme nonchalant. Comme souvent dans la sculpture statuaire, elles parlent plus par l’attitude du corps (et par le vêtement, ou l’absence de celui-ci) que par l’expression du visage… À chaque fois, on a un peu l’impression de se trouver en présence d’un personnage issu d’une histoire dont Myriam serait tout à la fois la romancière, la liseuse et la lectrice – ou, pour ainsi dire, la « contante » (la conteuse heureuse) et, tout aussi bien, la contée.[2] Et si je devais résumer ce que je ressens par rapport à son art statuaire, je ne dirais certes pas « naïf », mais bien plutôt ingénu. Car il y a dans l’ingénuité cette candeur noble et sincère (non dépourvue, d’ailleurs, d’esprit) qui est très précisément ce que je ressens face à ces sculptures. Les nouvelles sont émaillées. Les anciennes, visibles sur son site, sans émail. Personnellement, je préfère sans. J’ai d’ailleurs fait mon choix : une statue hiératique, baptisée Dans les songes, que j’aime, justement, pour sa simplicité extrême, « ève angélique » si j’ose dire, dont l’artiste elle-même est l’incarnation :
Dans les songes, grès, 29 cm de haut.
Enfin, il faudrait parler des sculptures de doigts, ces petits bijoux (au propre et au figuré), bagues à têtes interchangeables sur un anneau d’acier, que Myriam s’amuse à créer pour le plus grand plaisir des coquettes amatrices d’art. Mais pour cet aspect-là de son travail, comme je n’ai pas de photographies disponibles, je te laisse aller visiter cette partie du site de Myriam Ferrer. Sache tout de même, que là encore, le travail de Myriam est hautement apprécié d’une jeune demoiselle chère à mon cœur !
En un mot, merci. Merci, Myriam, de produire un art qui vous ressemble tant et qui, à ce titre, est capable de parler – même ! – à un exilé du XVIIIe siècle.
Référence internet
Notes
[1] Eh oui, que veux-tu ? tu me connais : je goûte assez assez les formules toutes faites.
[2] D’ailleurs, un peu après avoir écrit cela à Myriam, elle m’avoua qu’une de ses grandes émotions esthétiques, elle l’avait éprouvée, justement, devant Les Causeuses de Camille Claudel…
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Les dessins m’émeuvent plus que ses statuettes; mais cette jeune artiste vaut certes le détour par son site.
Bonne idée que celle de nous l’avoir présentée.
Très jolis dessins en effet. Notamment les deux premiers et deux derniers. Des petits problèmes de cadrage gâchent un peu la composition de certains d’entre eux malgré tout. Mais il se dégage une justesse des lignes et des formes dans ce qui est montré et ce qui est suggéré qui force le respect. Je suis définitivement conquis par la beauté qui se dégage du premier et du dernier dessin que tu nous présentes là. Il me semble que tu as fait une belle acquisition, mon cher Olivier.
Les statuettes aussi sont intéressantes à leur manière. Elles jouent dans un registre différent, plus enfantin mais également chargé d’émotions : tendresse, poésie et espièglerie. Malheureusement, je n’apprécie pas particulièrement le grès émaillé, du moins pas plus que l’objectif de l’appareil photo qui capture des reflets disgracieux sur les sculptures. A cet égard, la matière de la dernière sculpture non émaillée est beaucoup plus riche et profonde… à mon goût. Les jeux de lumières et d’ombres y sont plus subtiles et rendent mieux justice au modelé de la sculpture. A bas le clinquant bling bling !
En tout cas merci, Olivier de nous faire découvrir l’univers de Myriam Ferrer, jeune artiste de talent.
Bonjour Olivier! Je me suis souvent invitée chez vous sans faire de bruit… sans déranger..
J’aime beaucoup votre façon de vivre les mots , votre humour ,et les belles choses .. Merci de nous les faire découvrir…
Rejoignez – nous si le cœur vous en dit dans (histoires entre nous ) votre plume serait la bienvenue
Alors @ bientôt si vous le voulez bien
Bonjour Monsieur Olivier… Alors ? Plus de mots, plus de jolies choses à décrire? Bon, c’est vous l’artiste ici, donc on s’incline. Je vous dirais, encore, un grand merci pour cet éloge.
Vous souhaite aussi une belle année!